dimanche 17 janvier 2016

« je vais donc faire autrement »

RHINOCEROS (d'E. Ionesco) @ Théâtre de la place des Martyrs (Bruxelles)
Interview de Christine Delmotte (mise en scène et scénographie - Compagnie Biloxi 48)

L'humain qui se sent perdu trouve sa place dans un groupe en quête de domination par la force.
Ce conformisme va de pair avec une déshumanisation sans retour.


Rhinocéros est à l'affiche jusqu'au 06 février 2016 au Théâtre de la place des Martyrs.

Le conformiste, est-ce quelqu'un qui ne veut plus se poser de questions, parce que ça l'a épuisé ?
Christine Delmotte (mise en scène et scénographie): Il n'a plus la ressource intérieure pour trouver une vitalité personnelle qui soit ouverte aux autres, tolérante. Il n'a plus la force du rapport humain et devient rhinocéros, c'est ce que la pièce raconte, oui.

Qu'est-ce qui alimente cette force, la culture ?
Entre autres, j'imagine ! La culture aide à trouver des marques, des jalons pour rester humain, ne pas renoncer à des valeurs que nous défendons depuis longtemps entre Hommes.

L'amitié aussi ? On voit qu'il y a deux amis. Est-ce qu'on peut être ami avec quelqu'un qui nous dénigre ?
Ouh là là ! Qu'est-ce que vous diriez par rapport à cela ?

Je dirais non, parce qu'à un moment il y a une déception et il faut passer à autre chose !?
Oui mais en même temps, l'humain est très complexe et ambivalent. Ici dans la pièce une série d'évènements amène à la transformation de Jean, et par là à la fin d'une amitié complète [avec Béranger, joué par Pietro Pizzuti]. Ce n'est pas le dénigrement au départ ! Ça peut arriver en amitié ; il n'y a pas de jugement à avoir par rapport à des petits faits de la vie ! Il y a chez Jean un parcours qui le conduit à refuser l'être humain, son esprit, son humanité. La force et l'animalité avant tout ! Retourner aux fonctions vitales absolues et animales !

L'amitié n'a pas su sauver cela...
L'amour non plus d'ailleurs ! Daisy part rejoindre les rhinocéros, parce qu'elle veut être conforme et se dit que c'est là-bas que ça se passe pour le moment, qu'il y a de la force, de l'énergie. Elle se trompe, manifestement ! En tout cas c'est ce que nous raconte Ionesco.

La place des Martyrs est à côté de la rue Neuve.

Comment présenteriez-vous Eugène Ionesco ?
C'est quelqu'un qui me touche ! J'ai monté dernièrement « Le Roi se meurt » avec Pietro Pizzuti également. Il me touche parce qu'il est très sensible aux philosophies orientales. Toute sa thématique autour de l'étrange... Il travaille sur des situations particulières que je traite systématiquement comme un rêve. C'est pour moi la manière la plus juste de faire. Ce sont des rêves qu'il vit, dans lesquels il questionne l'être humain, l'humanité.

Un bon travail de synchronisation avec 9 acteurs sur scène, de la musique, plusieurs conversations simultanées ! C'est tout public sauf pour les épileptiques !
Je me demande si on l'a marqué sur le programme !?

Ce pauvre chat, qui meurt écrasé, le rhinocéros ne l'a pas vu ?
C'est dans les délires de Ionesco, c'est le rêve qu'il raconte, ce sont ces étrangetés ! A partir de ces philosophies orientales dont je suis friande aussi, il regarde le monde et ses bizarreries avec une certaine distance. A un moment donné cette femme devient un chat - c'est nous qui l'avons inventé – et voilà il observe cette femme qui devient un chat en se disant « mais c'est quoi cette histoire quoi ? ».

Quand on adapte une pièce qui a déjà été adaptée, comment fait-on ?
Je travaille beaucoup avec des pièces contemporaines, où je dois tout inventer. Sur les pièces classiques que je monte, je regarde ce qui a été fait, je m'adapte à ce que je ressens, à ce que je veux raconter. Souvent je me rends compte que ce ne sont pas les raisons pour lesquelles j'ai voulu monter la pièce. Je vais donc faire autrement. En général c'est très différent parce que le message n'est pas le même nécessairement, en tout cas la dramaturgie n'est pas la même.


Le théâtre des Martyrs se conformera à vos attentes.


Interview et photos © Lili Sygta 2016

Rhinocéros d'E. Ionesco, par la Compagnie Biloxi 48
au Théâtre de la Place des Martyrs jusqu'au 06 février 2016 
- mardis 19h, mercr à sam 20h (19h le 30/01 suivi d'une rencontre/débat)
- dimanches 24 et 31/01 à 16h.